Bernoulli, Johann I an Renau d'Eliçagaray, Bernard (1713.11.07)

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Kurzinformationen zum Brief       mehr ...
Autor Bernoulli, Johann I, 1667-1748
Empfänger Renau d'Eliçagaray, Bernard, 1652-1719
Ort Basel
Datum 1713.11.07
Briefwechsel Bernoulli, Johann I (1667-1748)
Signatur Basel UB, Handschriften. SIGN: L Ia 666, Nr.2
Fussnote



File icon.gif 7 nov. 1713.

Monsieur

Si pour complaire à une Personne que l'on estime il étoit permis d'embrasser aveuglément son opinion bien ou mal fondée, je Vous proteste que je serois l'homme du monde le plus porté à sacrifier pour Vous ma conscience en faisant semblant d'acquiescer à l'apparence de Vos raisonnements et aux honnetes expressions dont Vous remplissez vos lettres. Mais je sçay que Vous ne Vous contenteriez pas d'une telle complaisance; les Mathematiciens ne se payent point de complimens; ils veulent des raisons et des raisons solides; Il faut convaincre ou etre convaincu; il n'y a point de milieu; puisque aussy le vray et le faux n'en admettent point.

Vous dites que Vous ne serez pas bien satisfait que lorsque Vous n'aurez plus contre Vous mon Authorité; je dis la meme chose de moy par rapport à la Vôtre; Cependant comme en fait de mathematiques on ne doit point se servir d'Authorité à moins qu'elle ne soit appuyée de fort bonnes raisons; sachons de nous en donner mutuellement jusqu'à ce que l'evidence de la verité ait dissipé l'erreur de quelque coté qu'elle se trouve: Je ne dis pas cela que je ne sois déja tres bien persuadé par la force de mes demonstrations qu'elle est entierement de Votre coté, mais je le dis pour Vous faire voir combien je serois disposé à deferer à Vos raisonnemens, si le moindre doute troubloit l'evidence des miens.

Pardonnez moy Monsieur si je dis que Vous avez en quelque façon droit d'étre prevenu en faveur de Vôtre Theorie, qui est si simple et si facile que c'est File icon.gif dommage, qu'elle ne soit pas aussy veritable que vraysemblante, vû la grande utilité qu'elle porteroit à la Navigation: Vôtre importante Charge Vous a engagé à publier votre livre, Vous l'avez publiée du commendement exprés de sa Majesté; il a été reçû par les sçavans avec applaudissement; et la plus part d'eux qui ne l'ont pas examiné avec soin se sont laissé tromper par le beau dehors de Vos explications; Le moyen donc d'abandonner si aiséement une Theorie si bien inventée? mais moy je n'ay pas de semblables raisons qui m'induisent à ne pas demordre de mon sentiment, car il en resulte une Theorie tres difficile et tres compliquée, que la reputation ne m'oblige pas de soutenir pour l'avoir autrefois precipité au jour, puis qu'au contraire un rapport confus et imparfait qu'on me fit de Vôtre Dispute avec Mr. Huguens m'avoit jetté au commencement dans Vôtre partie: Ensorte que si je l'ay quitté, c'est le seul interest de la verité qui m'y a porté; ce qui doit servir de grande presomtion, que je ne l'aurois fait sans la voir avec une entiere evidence: Je souhaiterois seulement de pouvoir Vous la developper aussy clairement qu'elle me paroit à moy. Pour cette fin je Vous supplie Monsieur de me preter une attention desinteressée et non prevenue; je Vous leveray premierement les difficultés que vous avez sur ma Regle de determiner la route et la vitesse du vaisseau; Ensuite je demontreray cette meme Regle par le principe ordinaire de statique fondé dans la composition des forces.

Pour ce qui est de vos difficultés, voycy en quoy elles consistent.

File icon.gif Selon ma regle je pretendois et je pretens encore que si marque la direction et la vitesse uniforme que le vaisseau auroit par la seule impulsion du vent perpendiculaire sur la voile ; et la direction et la vitesse uniforme du vaisseau poussé seulement par le second vent perpendiculaire sur la voile ; La direction du vaisseau poussé par les deux vents ensemble sera diagonale du rectangle fait par les cotés et troisieme proportionelle de à ; et la vitesse sera designée par moyenne proportionelle entre et .

Mais Vous croyez Monsieur que cette regle mene à des contradictions, ce que Vous voulez faire voir par deux differentes conclusions; mais il est si aisé de repondre à la premiere, que Vous en avez prevu Vous meme la reponse que je vous donnerois: Car aprez avoir montré la pretendue absurdité en ces termes "Le vaisseau allant donc suivant avec la vitesse , sa vitesse suivant sera , et suivant sera supposant perpendiculaire à , et perpendiculaire à . Or , , et sont entre elles comme , et , qui representent par Votre hypothese les forces qui poussent le vaisseau dans ces directions; donc les vitesses uniformes seroient entre elles, comme les forces, ou ce qui est la meme chose, les vitesses uniformes dans un milieu qui resiste, seroient entre elles, comme les resistances, car les resistances sont comme les forces; ce qui seroit absurde, par ce que les resistances sont toujours comme les quarrés des vitesses, comme vous en convenez Vous meme."

Vous remarqués fort à propos que je diray à cela "qu'il ne s'agit pas icy de comparer les resistances laterales qui ne sont qu'ideales, et rien en effet, et qu'il ne faut avoir eagrd qu'à la resistance directe , qui est la seule reelle." Vous promettés File icon.gif meme d'y consentir si l'on veut; non Monsieur, je ne le veux pas de Vous par courtoisie, mais j'espere que la verité deployée Vous y obligera; J'ajouteray icy seulement en passant que les vitesses étant toujours simples à proprement parler ne se resolvent pas comme les forces, en vitesses laterales, mais ce sont plutot leur determinations qui se resolvent; ainsi il falloit dire que le vaisseau allant suivant avec la vitesse , la determination de la meme vitesse suivant sera ; et suivant sera , ce qui ne renferme aucune absurdité.

Passons à l'autre objection, qui paroit avoir plus de fondement, d'autant que la conclusion est directement contraire à ma regle, et qu'il n'est pas si aisé d'en decouvir l'illegimité; j'en ay pourtant le denouement; mais voyons auparavant comment Vous raisonnez. Aprez que Vous consentez qu'il ne s'agit pas icy de comparer les resistances laterales qui ne sont qu'ideales, Vous continuez Monsieur en ces termes: "Pour en avoir une autre (resistance) aussy directe à luy comparer; soit supposé que la force qui pousse le vaisseau suivant soit double de la force designée par , et que la force qui pousse le vaisseau suivant soit aussy double de la force designée par ; prolongeant en ensorte que soit double de , et en , ensorte que soit double de ; designera la nouvelle force avec la quelle le vaisseau sera poussé suivant ; et designera celle avec la quelle il sera poussé suivant : Et par Vôtre regle le Vaisseau poussé par ces deux forces à la fois, doit aller suivant la direction diagonale du parallelogramme avec la vitesse moyenne proportionelle entre et ; mais comme n'est que prolongée en ; à cause des rectangles semblables , c'est à dire, la force à la force , comme la vitesse File icon.gif à la vitesse , c'est à dire que les vitesses directes du vaisseau seroient entre elles comme les forces qui poussent le Vaisseau, ce qui seroit absurde, car ces vitesses sont toujours comme les racines des forces ou ce qui revient au meme comme les racines des resistances."

Je conviens Monsieur que ce raisonnement seroit dans les formes et qu'il détruiroit par consequent ma regle, s'il étoit vray ce que Vous supposez que selon elle moyenne proportionelle entre et designe la vitesse du vaisseau poussé à la fois par les deux forces et doubles des forces et ; Mais je nie que en consequence de ma regle doive étre la vitesse du vaisseau: Il est vraysemblant, je l'avoue, que comme moyenne proportionelle entre et marque selon ma regle la vitesse du vaisseau poussé à la fois avec les forces simples et , ainsi aussi moyenne proportionelle entre et marquera la vitesse du meme vaisseau poussé à la fois avec les forces doubles et : Cependant cette anlogie de raisonnement ne peut pas avoir lieu icy, et si on entre bien dans le vray sens de ma regle; on verra que la vitesse du vaisseau dans le cas des forces doubles sera exprimée par moyenne proportionelle entre et et non point entre et .

Pour Vous en faire comprendre la raison, souvenez Vous Monsieur, que dans les constructions Geometriques où il s'agit d'exprimer la proportion des quarrés par des lignes droites, on en choisit une arbitraire pour l'unité; la quelle étant une fois posée, il faut s'en tenir dans tout le cours de la construction, n'étant pas permis de prendre pour l'unité tantot une ligne tantot File icon.gif une autre sans donner dans le paralogisme: Or dans la construction que prescrit ma regle j'ay pris pour l'unité; car comme et marquent par hypothese les vitesses uniformes que le vaisseau auroit s'il etoit poussé separément dans les directions et ; il etoit necessaire de faire un parallelogramme dont les cotés et fussent comme les quarrés des vitesses pour exprimer la proportion des forces des deux vents; et ainsi pour construire ces deux cotés dans la dite proportion, j'ay pris pour l'amour de la brieveté et de la simplicité une des vitesses elles memes sçavoir pour l'unité, faisant troisieme proportionelle de à , car de cette maniere on aura ; ensorte que c'est de pure liberté que la meme marque icy en meme temps l'unité, une vitesse du vaisseau et une force du premier vent: Or puisque diagonale du parallelogramme , doit exprimer necessairement (en vertu de la composition ordinaire des forces, que l'on peut appliquer à ce cas cy aussy bien qu'aux deux poids qui tirent obliquement un troisieme comme je l'expliqueray cy aprez) la force moyenne avec laquelle le vaisseau est poussé par l'action des deux vents ensemble; pour trouver donc la vitesse uniforme du vaisseau dans la direction qui produise une resistance de l'eau egale à cette force moyenne resultante par l'action des deux vents ensemble; il est manifeste que l'on doit prendre la racine de , ce qui se fait en prenant moyenne proportionelle entre et l'unité c'est à dire entre et entend que cellecy est l'unité. Il en est donc de meme des forces , doubles, triples etc. de , ; celle qui en resulte sera diagonale du parallelogramme ; et la vitesse du vaisseau sera ou ,[1] moyenne proportionelle entre et l'unité c'est à dire entre et et non pas moyenne proportionelle entre et ; comme Vous l'avez fait en adoptant tacitement deux differentes unités sçavoir et , contre les regles d'une bonne construction.

File icon.gif Je voy bien au reste que la simplicité que j'ay affectée dans ma construction Vous a donné lieu d'en tirer Vôtre illegitime consequence; Car si, sans avoir egard à la simplicité, j'avois exprimé l'unité par une autre ligne prise à discretion, j'aurois obtenu une meme longueur pour , et Vous n'auriez pas eu l'occasion de faire Vôtre objection, mais la construction en auroit été un peu plus prolixe, dont voycy la maniere: Soit donc comme auparavant la vitesse uniforme que le vaisseau auroit par la seule force du vent qui donne sur la voile ; et la vitesse uniforme imprimée au vaisseau si le second vent agissoit tout seul sur la voile : Soit maintenant une ligne quelconque prise pour l'unité; Que l'on fasse troisieme proportionelle de à , et troisieme proportionelle de à : Soit achevé le parallelogramme ; Je dis que le vaisseau etant poussé par les deux forces ensemble ira dans la diagonale et avec une vitesse exprimée par la moyenne proportionelle entre et l'unité .

Je ne pense pas qu'il soit besoin de prouver au long que cette construction icy et celle de ma lettre precedente donnent tout à fait la meme chose tant pour la direction de la route que pour la vitesse: Car , donc les parallelogrammes et sont semblables, et File icon.gif par consequent leurs diagonales et sont sur une meme ligne droite ou dans une meme direction. De plus par ma premiere construction on a , et par la seconde ; mais à cause de , on a : d'où il suit que de la premiere est = à de la seconde construction.

Que si Vous faites maintenant l'application de cette seconde construction au cas qui fait le sujet de Vôtre objection, en prenant des forces laterales doubles de et , et en gardant toujours la meme ligne pour l'unité; Vous trouverez que l'absurdité apparente que vous m'avez objectée disparoitra entierement.

Voyla donc Monsieur levées Vos deux plus grands difficultés: ce que Vous ajoutez ensuite partie pour appuyer ces memes difficultez partie pour confirmer Vôtre opinion, ne sont à ce qui me semble que des repetitions sous d'autres expressions de ce que Vous avez amplement deduit dans Vôtre Memoire; ou tout au plus ce ne sont que des argumens qui y reviennent tous par un petit changement; en sorte que je Vous causerois peut etre de l'ennuy si je reiterois de meme les reponses, que je Vous ay deja données dans ma premiere lettre,[2] d'autant plus que l'enodation que je viens de faire de vos difficultés, et la verité bien affermie par la demonstration que je m'en vay Vous communiquer, Vous mettra en état de Vous satisfaire Vous meme sur tout ce qui Vous reste encore de scrupule. Cependant pour dire quelques mots sur ces argumens, je remarque Monsieur que Vous abusez du terme de composition des forces en Luy donnant une signification trop étroite, comme si c'étoit une composition de parties integrantes dont il se fait un tout composé; au lieu que ce n'est qu'une combinaison des forces laterales dont il resulte une force moyenne egale à une troisieme directement opposée, la quelle quoiqu'inegale à la somme des deux laterales ne laisse pas de les tenir en File icon.gif equilibre ou de les contrebalancer par la seule disposition de sa direction; comme on le peut faire voir par une infinité d'exemples de statique: Quoiqu'il en soit ce raisonnement que Vous faites en ces termes: Vôtre force moyenne designée par etant moindre que la somme des deux forces qui la composent, sçavoir la somme des forces designées par et ; il faudroit necessairement, qu'il y eut pour cela de la force de detruire dans les duex forces composantes ce qui ne peut pas etre, la direction de la force etant perpendiculaire à la direction de la force , et on n'aura pas de peine à en convenir, si on fait reflexion, qu'il n'y a point de force sans vitesse; or la force n'a point de vitesse contre la force , ni contre ; d'où il suit que ces deux forces ne se peuvent rien detruire l'une à l'autre. Ce raisonnement, dis-je, n'est pas plus concluant, que cet autre, par lequel un certain Italien[3] pretendoit autrefois detruire une proposition de statique incontestable en elle meme qui est que le moment ou la force avec la quelle une boule tache de descendre sur un plan incliné se tient au poids absolu de la boule comme la hauteur perpendiculaire de ce plan à sa longueur;[4] Car de ce que considerant la boule soutenue par deux plans inclinés qui font ensemble un angle droit, il voyoit que la somme des deux forces avec les quelles les deux plans sont pressés par la boule seroit en vertu de cette proposition plus grande que la force totale ou le poids absolu de la boule; il croyoit mal à propos que cela étoit une absurdité (voyez les Actes de Leipsic de l'année 1684, pag. 512).[5]

Si Vous prenez la peine Monsieur de reflechir un peu sur l'etat de notre question, Vous verrez que Vôtre raisonnement est fort peu different de celuy de cet Italien, tout comme les deux sujets le sont aussy fort peu, je suis meme assez hardy de dire, que tous deux se reduisent à la meme chose; Voycy comment: La boule peut represenFile icon.gifter le vaisseau; le poids absolu de la boule et sa direction verticale representent la force de la resistance de l'eau et la route du vaisseau: et enfin les deux reactions ou renitences des deux plans inclinés se rapportent aux deux forces avec les quelles les deux voiles du vaisseau sont poussées. On pouroit donc former icy la meme objection en disant, que les forces passives avec les quelles la boule est repoussée par les plans et dont les directions sont perpendiculaires ne se detruisent en rien, et que si elles agissent sur la boule qui donne lieu par l'action de son poids, que chacune d'elles agisse de toute sa force, cette boule sera poussée par une force qui sera egale à la somme des deux; cependant la veritable statique nous apprend que la somme de ces deux forces passives des plans est plus grande que le poids absolu de la boule et par consequent plus grande que la force moyenne passive avec la quelle la boule est repoussée verticalement en haut, et qui doit étre egale au poids absolu à cause de l'egalité entre l'action et la reaction.

Je Vous entens déja repliquer que Vous ne trouvez pas que cet exemple non plus que le principe de statique du quel je Vous ay parlé dans ma precedente fasse rien à Vôtre affaire; Qu'un poids qui tend ou qui tire perpendiculairement à l'horizon, tend ou tire en meme temps obliquement et que c'est toujours une meme masse qui agit suivant toutes les directions, par consequent que les forces de ce poids suivant toutes les directions seront comme les vitesses avec les quelles il tendra aussy à se mouvoir; au lieu que la force du vent consiste dans le produit d'une masse et d'une vitesse differente de la masse et de la vitesse qui produisent la force d'un autre vent, en sorte que, puis que les masses sont comme les vitesses, les forces seront toujours comme les quarrés des vitesses, au lieu que dans l'exemple de statique supposant que File icon.gif c'est la meme masse qui tire en tout sens, il est necessaire que les forces soient comme les vitesses avec lesquelles cette meme masse tend à se mouvoir, ce qui fait que la regle de statique pour la composition des mouvemens ne peut pas étre admise dans le cas du vaisseau poussé par deux Vents dont la direction est perpendiculaire l'une à l'autre et qui donnent perpendiculairement sur deux Voiles etc. Mais toutes ces exceptions et d'autres semblables quelques specieuses qu'elles soient si on les regarde de prés on trouvera qu'elles ne contiennent aucune solide raison, pourquoy vouloir que ce cas particulier du vaisseau poussé continuellement par trois forces à sçavoir par celles des deux vents et de la resistance de l'eau; soit exempté de la regle generale de statique, en vertu de la quelle on conclud universellement et sans exception que si un point mobile est tenu en equilibre par la sollicitation de trois puissances dont les directions et quantités soient exprimées par les trois lignes , , chacune d'elles par exemple, sera egale et dans la meme direction avec la diagonale du parallelogramme fait par les lignes des deux autres puissances et . Aussy ne Vous etés Vous avisé Monsieur de chercher ces exceptions que depuis que Vous avez reçû ma premiere lettre, où j'ay montré les absurdités dans les quelles on tomberoit si on vouloit rejetter cette regle generale de statique reconnue de tout temps; car Vous ne pouvez pas disconvenir que Vous ne l'ayez au commencement condamnée tout à plat, sans admettre meme le cas des poids, temoins l'expression dont Vous Vous étes servi dans Vôtre premiere lettre File icon.gif où Vous parlés en generale de cette regle comme d'une pure tradition qui avoit passé des Anciens Geometres jusqu'à notre temps[6] sans en avoir d'autres preuves que l'Authorité des Grand Geometres; Temoin aussy une des lettres que Mr. de Montmort, qui est de Vôtre parti, a ecrit à mon Neveu, dans la quelle je trouve ces mots: Si Mr. Renau a raison il faut reformer tout ce qui a été ecrit en mechanique jusqu'à present et en particulier celle de Mr. Varignon,[7] donc aussy la regle ou le principe de la composition des forces pris dans toute son etendue. Vous commencez presentement d'en reconnoitre la verité pour les poids; Voyla Monsieur un grand pas que Vous faites vers moy; encore un ou deux, et nous serons joints; c'est de quoy j'espere de venir à bout.

Effectivement la distinction que Vous faites entre la force des poids et celle des vents, n'est point une raison d'admettre le principe de statique pour ceux-là et le rejetter pour ceux-cy; car cette distinction ne regarde que les causes productrices de ces forces; or il n'est pas question de sçavoir comment les forces sont produites, il suffit qu'elles soient existentes, de quelques causes qu'elles proviennent elles feront toujours la meme impression, la meme action, par consequent le meme effet, pourvû que ces forces soient appliquées d'une meme maniere: Car dés qu'une force uniforme est continuellement appliquée sur un corps, elle est dans ce corps comme innée ou intrinseque; ce seroit prendre le change si pour raisonner de l'energie des forces dans la statique, on vouloit s'amuser premierement à penetrer la cause physique de la pesanteur pour sçavoir si c'est une qualité intrinseque et essentielle des corps, comme le pretendent les Peripateticiens, ou si elle est causée par la pression externe de la matiere File icon.gif subtile, selon que disent Messrs. les Cartesiens; ou enfin suivant quelques modernes[8] elle consiste dans un attraction mutuelle des corps; De cette maniere on ne seroit jamais assuré de la certitude d'une proposition de statique, puisque si elle étoit vraye dans le systeme d'Aristote elle seroit fausse selon Vôtre maniere de distinguer dans celuy de Des Cartes. Je ne croy pas que Vous soyez formellement dans le sentiment, de vouloir faire dependre la certitude de la statique de celle de la Physique. Cependant je Vous ay fait voir Monsieur, que Vôtre Distinction en porte une telle dependence; reflechissez-y, je Vous prie, et faites attention à l'exemple de statique que voycy, qui me servira de Lemme dont je tireray la demonstration de la construction que je Vous ay donnée pour determiner la route et la vitesse du vaisseau poussé par deux forces perpendiculaires.

Concevez donc dans un plan vertical [Figur folgt][9] que le point mobile soit attaché aux trois cordes , , et , dont les deux premieres faisant un angle droit passent par dessus les deux poulies et , ensorte que les portions repliées et et la troisieme corde soient verticales; Aux extremités de ces trois cordes , , et soient attachés perpendiculairement dans les milieus trois plans horizontaux mobiles et sans pesanteur , et , les grandeurs des quels soient, aprez avoir prolongé en , comme les sinus des angles , et ; ou, ce qui revient au meme, comme les deux cotés , et la diagonale du parallelogramme fait autour du diametre , supposé par exemple qu'ils soient comme ces trois nombres 3, 4, et 5: Imaginez Vous presentement qu'un vent vienne fondre de haut en bas sur ces trois plans File icon.gif suivant les directions verticales , , ; ensorte que les plans recevant les impressions du vent en raison de leurs grandeurs c'est à dire des nombres 3, 4, et 5; il tireront le point mobile suivant les trois directions , et avec des forces qui seront dans la meme raison de 3, 4, et 5 ou de , et . Ainsi je Vous demande Monsieur si Vous ne concevez pas clairement, que les trois cordes dans cette supposition seront bandées par la force du vent de la meme maniere, qu'elles le seroient, si au lieu des plans pressés par le vent on chargeoit les extremités des cordes , et ; de trois poids equivalens, c'est à dire, aussy en raison de 3, 4 et 5; Vous concevez donc que le vent et les poids feront le meme effet sur le point ; Or le point seroit mis en equilibre dans la supposition des poids, ce que Vous m'accordés; il le seroit donc aussy dans la supposition du vent: He bien cela Vous paroit clair comme le jour, et qui est ce qui en douteroit? cependant c'est là justement le cas de notre question; ainsi il ne faut qu'un peu d'explication, pour demontrer la construction que j'ay donnée pour determiner la route et la vitesse du vaisseau poussé à la fois par deux voiles perpendiculaires.

Pour ce qui est de la route Vous serez Monsieur sans doute d'accord avec moy, que sa direction doit etre celle suivant la quelle un troisieme vent donnant en sens contraire sur une voile perpendiculaire , pourroit contrebalancer les deux premiers vents et arreter ainsi le vaisseau en .

En considerant les vents comme n'etant pas infiniment rapides je suppose pour une plus juste application à notre cas que les deux premiers vents donnent sur les voiles du vaisseau en repos avec leur vitesses relatives c'est à dire avec l'excés dont la vitesse du vent suivant surpasse la vitesse uniforme que le vaisseau auroit s'il étoit poussé par ce seul vent, comme aussy avec l'excés dont la vitesse du vent suivant excede la vitesse uniforme que le vaisseau auroit par la seule impulsion de ce vent.

File icon.gif Ainsi voyla le vaisseau en comme un point mobile tiré et contrebalancé par trois puissances, suivant les trois directions , et ; or par le lemme precedent prolongée sera la diagonale du parallelogramme dont les cotés et expriment la raison des deux autres puissances, les quelles sont comme les quarrés des vitesses uniformes que le vaisseau auroit étant poussé par chaque puissance laterale separément, c'est à dire comme et : C'est pourquoy le vaisseau poussé à la fois par les deux puissances laterales sans la troisieme, suivra la route , qui seroit la direction de cette troisieme, ce qu'il falloit demontrer pour la route.

Quant à la vitesse uniforme que ce vaisseau aura, il est clair qu'elle doit etre d'un tel degré, que la resistance de l'eau qui en resulte puisse etre egale à la troisieme puissance qui contrebalance les deux autres laterales; comme donc par le lemme precedent la troisieme puissance est exprimée par , on aura , c'est à dire ou la moyenne proportionelle entre et l'unité pour la vitesse du vaisseau qui produit une resistance egale à la troisieme puissance, ce qu'il falloit demontrer pour la vitesse.

Je me sers icy du mot de puissance au lieu de celuy de force, afin de me rendre plus intelligible en faisant voir que la force des vents n'a point de prerogative sur un autre genre de puissance continuellement et uniformement appliquée. Ainsi quittons les vents et les voiles, et concevons deux vertus par ex. magnetiques qui fassent des efforts continuels et uniformes pour mouvoir le vaisseau l'un[10] suivant la direction et l'autre suivant la direction ; en telle condition que la premiere sans le concours de l'autre pouroit procurer au vaisseau une vitesse uniforme exprimée par et l'autre sans File icon.gif le concours de la premiere luy pouroit causer une vitesse uniforme designée par . Il suit de là que leurs efforts seront comme le quarré de et le quarré de , c'est à dire comme et : Concevons presentement aussy qu'une corde retienne et empeche le vaisseau d'obeir aux efforts de ces deux vertus. Il est manifeste par le principe de statique sur lequel est bati mon lemme que la corde prendra une situation qui sera dans la meme direction avec la diagonale , et que designera la force avec la quelle la corde se bandera; Nous voyons donc clairement que le vaisseau quoique arreté par la corde ne laisseroit pas d'avoir une tendence continuelle à se mouvoir dans la direction : si bien que si on rompoit la corde, le vaisseau commenceroit effectivement à se mouvoir dans la route et pendant que les vertus continueroient de faire toujours les memes efforts dans les memes directions, le vaisseau s'accelereroit de plus en plus suivant , jusqu'à ce que la resistance qu'il trouveroit en sens contraire fut precisement egale à la force avec la quelle la corde se bandoit avant la rupture.

Au reste Monsieur j'espere que Vous ne Vous offenserez pas de la naiveté avec la quelle j'ay dit mes pensées; Vous avez l'esprit trop clairvoyant pour n'appercevoir pas la verité, et le coeur trop bien placé pour ne la pas reverer en quelqu'état qu'elle paroisse. C'est pourquoy je sousmets mes raisons à vôtre propre jugement, si Vous les trouvez assez solides, pour Vous y rendre enfin, il me sera bien glorieux d'avoir fait une si belle conquete. Cependant quoiqu'il arrive Vous me ferez la justice de croire que je ne cesseray d'etre avec tout le respect dû à vôtre rang et à vôtre merite Monsieur Votre tres humble et tres obeissant serviteur J. Bernoulli.


Fussnoten

  1. Gemeint ist wohl .
  2. [Text folgt]
  3. I.F. Vanni (?)
  4. [Text folgt]
  5. Specimen libri de momentis gravium etc., Autore I.F.V[anni] Lucensi, AE Novembris MDCLXXXIV, pp. 510-514
  6. [Text folgt]
  7. [Text folgt]
  8. Im Manuskript stand zuvor "Anglois".
  9. [Link folgt]
  10. Im Manuskript steht hier am Rand der neuen Zeile "e".


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